Opinion Montréal, territoire mohawk non cédé ?

Droits ancestraux et issus de traités à Montréal

Le maire Denis Coderre débute ses discours en précisant que Montréal se trouve en territoire Mohawk non cédé, une phrase controversée qui ne fait pas l’unanimité chez les historiens. La section Débats a demandé à quatre experts d’éclairer la question. Aujourd’hui : Denys Delâge

Les Mohawks (Kanien’kehaka, Agniers) furent une des cinq nations fondatrices de la Ligue des Hodinonhsionni (Iroquois) dont la création remonte avant le contact colonial. Cette fédération occupait le centre de l’État actuel de New-York depuis la région d’Albany jusqu’à celle de Rochester. Les Mohawks étaient les gardiens de la « porte de l’Est ». 

La Ligue appartenait à la grande famille linguistique et culturelle iroquoienne regroupant Hurons (Wendats), Neutres, et Pétuns, etc., du sud de l’Ontario, et sur les rives du fleuve, de Kingston jusqu’à Québec, les Iroquoiens du Saint-Laurent que Jacques Cartier rencontra entre 1534 et 1542. Ces derniers sont disparus vers 1580 sous l’effet conjugué d’un refroidissement climatique, de guerres, et de maladies probablement de source européenne.

Les Mohawks se réclament d’une occupation ancienne de l’île de Montréal parce qu’ils auraient, de tout temps, fait partie de ces communautés disparues. Ni l’archéologie ni la linguistique ne confirment cela. 

L’archéologie témoigne d’une culture matérielle distincte des Iroquoiens du Saint-Laurent pour la poterie. Il est probable que des Iroquoiens du Saint-Laurent aient trouvé refuge chez leurs alliés hurons et à l’inverse, aient été faits captifs par les Iroquois avec lesquels ils auraient été en guerre. Voilà ce qui expliquerait l’argument, repris par la tradition orale des Hurons et des Iroquois, de ces retours au pays d’origine. Selon le linguiste-ethnohistorien Roy Wright, Hurons, Mohawks et Iroquoiens du Saint-Laurent parlaient des langues apparentées puisque relevant de la même famille, mais distinctes comme le démontrent, entre autres, leurs chiffres de 1 à 10.

Le développement de la traite des pelleteries à Tadoussac, au XVIe siècle, s’est articulé sur le grand réseau d’alliance des Montagnais (Innus), Cris, Algonquins et Hurons. Les Français s’y joignirent par traité en 1603. Exclus, les Iroquois firent la guerre. Québec était alors un territoire montagnais et Montréal, territoire algonquin. 

La surexploitation des animaux à fourrure, mais surtout la surmortalité liée aux terribles épidémies et l’obligation de remplacer les morts par des captifs nourrirent le feu de longues guerres. 

Au cours des années 1660, l’Iroquoisie en sortit victorieuse avec toutefois une transformation radicale : les captifs composaient désormais la majorité de sa population, pour les Mohawks, c’était les deux tiers. Les mécanismes traditionnels d’intégration s’avérèrent désormais inefficaces, d’autant qu’en outre, les captifs se convertirent au catholicisme. 

La société iroquoise aurait pu alors devenir une société esclavagiste, mais c’était contraire à ce qu’elle avait toujours été : une société du consensus plutôt que de la coercition. 

Le conseil de la Ligue préféra laisser partir les convertis chrétiens pour s’établir à proximité de leurs coreligionnaires français. Ces migrants parlant une vingtaine de langues avaient en commun l’iroquois. Voilà l’origine de Kahnawake, puis Kanesatake et Akwesasne. Ces Iroquois catholiques ont défendu Montréal lors de l’attaque de Lachine, mais ont refusé de détruire l’Iroquoisie. 

À partir de 1696, ils ont renoué avec la Ligue iroquoise et joué un rôle crucial pour la conclusion de la Grande Paix de Montréal de 1701. Les membres de ces communautés sont devenus des intermédiaires dans le commerce entre Montréal et Albany, des voyageurs dans la traite des pelleteries puis, au XIXe siècle, des constructeurs de ponts et de gratte-ciel. Majoritairement originaires de la nation mohawk, ils se sont longtemps définis comme Iroquois, mais depuis la deuxième moitié du XXe siècle, ils s’identifient majoritairement comme Mohawks.

Le titre aborigène n’est éteint ni sur le territoire de Montréal ni sur celui de l’ensemble du Québec à l’exception de la Baie-James. L’achat de la terre ne faisait pas partie des rituels français de prise de possession. La politique d’achat de terres amérindiennes devint la norme après la Conquête. La Proclamation royale de 1763 reconnaissait un titre aborigène de même qu’un mécanisme d’extinction par traité. Visant d’abord un vaste territoire non encore colonisé, son application fut ensuite élargie à l’espace seigneurial, y compris pour les nations provenant d’ailleurs : Hurons, Abénaquis et Mohawks. Les nations autochtones domiciliées dans la colonie ont également signé des traités d’alliance avec les autorités britanniques à l’occasion de la Conquête, le plus important étant celui de Kahnawake du 16 septembre 1760. Ces traités reconnaissent aux alliés amérindiens la possession tranquille de leurs villages et, au sens de l’usufruit, de leurs endroits de chasse.

Les Mohawks n’ont pas de droits ancestraux sur le territoire de l’île de Montréal, mais des droits en vertu de traités dans la région de Montréal.

Les Algonquins détiennent des droits ancestraux sur le territoire de Montréal et des droits en vertu de traités dans la région de Montréal.

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